Michel Rolland, le gourou du vin


Week-end de grand repos pour Pâques et l’occasion de lire le livre de Michel Rolland, paru chez Glénat.

Juste avant la grêle… Du coup,  je laisse passer du temps et me demande si je vais écrire quelque chose sur ce livre… Et puis voilà.

Que cela soit dit en préambule, je ne suis pas un lecteur comme les autres de ce livre, mi-historique, mi-autobiographique, mi-règlement de compte.

Je connais Michel Rolland (dans le petit monde du name droping viiticole, Michel tout cours, c’est Michel Bettane ;-), je connais aussi d’ailleurs Jacques Glénat. Du moins les ai je croisés, plusieurs fois pour l’un et pour l’autre, sans pour autant être intime, ni avec l’un, ni avec l’autre.

Mais j’ai dormi à Bon Pasteur et j’ai déjeuné, il a bien longtemps, dans le petit laboratoire de Libourne, où tant de choses importantes se sont passées, comme on le voit à la lecture de ce livre. Je n’ai encore jamais déjeuné chez Jacques Glénat bien qu’il ait édité mon seul livre « Irremplaçable Moulin à Légumes » et que j’ai pour lui de ce fait, une admiration sans faille pour sa folie. Qu’il soit dit que  j’aimerai bien piocher, un jour, dans sa collection de vieux Sauternes ;-).

Difficile pour moi de rester donc totalement impartial pour vous conseiller de lire ce livre, et pourtant, il faut le faire.

J’ai envie, en fait, de vous dire de lire toute la première partie, puis la dernière, puis de sauter celle où notre gourou règle ses comptes, avec Jacques Dupont, avec Périco Légase, avec Jonathan Nossiter… Cette partie n’est pas digne de lui, inutile et partiale. On n’y retrouve pas le Michel Rolland que j’aime et que je respecte, celui qui a eu tant d’intuitions géniales, le bon vivant, le souriant, le diplomate, le fin psychologue et le vigneron libournais qu’il aurait pu être s’il n’avait pas choisi librement un autre destin.

Mais reprenons.

La première partie de ce livre est je l’avoue fascinante, du moins pour un amateur de vin et pour un vigneron qui n’aurait pas mon âge ;-). On y voit en demi-teinte où en était la fabrication du vin en 1970 et l’on comprend combien la révolution fût rude, brutale, rapide. j’ai aujourd’hui dans ma cave plus de matériel que n’en avait sans doute un premier grand cru classé à cette époque… J’utilise des méthodes de culture et de vinification qui n’était pas découvertes ou du moins pas expliquées. Je suis à la recherche d’un idéal de grand vin de garde au fruit préservé, issu de raisins mûrs, qui n’était possible, à Bordeaux, que dans 20 % des millésimes… C’est hallucinant.

Cette révolution, on la doit pour beaucoup à Michel Rolland. Sans doute pas qu’à lui, comme une lecture rapide pourrait le laisser penser ;-), mais pour beaucoup, sans doute.

J’ai aimé, ce livre fermé, penser un instant à ces carrefours étranges que proposent la vie. On prend à droite, tel destin. On prend à gauche, tout est différent. Je vois clairement, dans ma propre vie, certains de ces carrefours qui auraient modifié ma vie actuelle si j’avais pris d’autres décisions. Dans ce livre, tout aussi clairement, on voit comment, en trente ans, le monde du vin a été modifié par ces choix. Si Michel R. n’avait pas rencontré son épouse (certes citée mais pas à mon avis comme elle devrait l’être, ainsi va la vie…), si Michel et Dany R. s’étaient plu à Tuchan, là où fût leur premier job, et avaient décidé de vendre Bon Pasteur pour s’installer ici ;-), si Robert Parker n’avait pas sonné à la porte du labo, si Michel R.avait hérité le caractère d’une de ses grand mères, revêche, au lieu de celui d’un de ses grand-pères, jovial et ouvert. Si Colette Drape n’avait pas vu sa vie tragiquement interrompue (je le pense, cher M…). Tous ces évênements, et bien d’autres racontés dans ce livre, croyez moi ou pas, montrent que Michel et Dany Rolland ont été, en trente ans, pratiquement toujours au coeur de l’œil du cyclone d’une révolution œnologique qui aurait pu être toute différente s’ils n’avaient pas existés, s’ils ne s’étaient pas rencontrés, peut-être. Étrange et merveilleux destin. Lourde responsabilité.

Bref, ce livre est passionnant, ne serait que pour se rendre compte des bouleversements qui ont secoué le monde de la production du vin depuis trente ans.

Je peux d’ailleurs en témoigner pour en avoir vécu certains, plus lointainement, comme vu d’une autre caméra.

Car Michel Rolland dit, dans cette partie du livre, une histoire assez proche de la vérité, je peux en témoigner, même s’il occulte prudemment bien des détails qui auraient pu donner à l’histoire un éclairage un peu différent. Par coquetterie, je l’avoue, permettez moi de dire que je me suis souvenu du choc de Tropong-Mondot 1987, si différent des autres 1987 (j’ai encore un double magnum qu’il me faudra bien me décider à ouvrir un jour…), Christine Valette-Parienté ayant été une des premières à suivre son idée de vendange verte. J’ai même dû l’avoir écrit dans un numéro de Cuisine et Vin de France. Je me suis souvenu aussi, sans plaisir, à la page 83, d’avoir été exclu, en temps que journaliste, des dégustations de l’union des Grands Crus pendant deux ans, pour avoir dit au printemps 93 que l’Angélus 92 était le meilleur vin du millésime, devant un premier grand cru de Saint-Emilion B, indigne, (je l’avais dit aussi…) qui m’avait alors fait « punir » parce « qu’on ne parlait pas comme ça à un propriétaire de 1er CC… » Je me souviens de mon enthousiasme devant les premiers millésimes de Clinet issus de raisins mûrs et du sourire de Jean-Michel Arcaute, si tragiquement disparu, de voir enfin son travail reconnu, même si c’était par un jeune pigiste inconnu.

Dans toute cette première partie, l’amateur trouvera une foule de renseignements, d’informations, d’anectodes, qui méritent d’être connues et qui auraient méritées sans doute, d’ailleurs, d’être développées. Ce serait faire œuvre de salut public que d’obliger Michel Rolland à reprendre chaque paragraphe de cette saga historique pour la muscler de faits et d’anecdotes, pour l’histoire. Il y a tant de choses à dire, qui se perdront si lui ne les dit pas. On s’amusera aussi de la dernière partie, où Michel Rolland raconte sa partie « Flying », ses émotions devant la découverte de nouveaux mondes, son affection pour d’autres vignobles que celui où il est né. On voit bien que cet homme pressé est pétri d’émotion et que, comme il le dit fort justement, « les affinités humaines sont indispensables pour créer un vin de distinction ». Je me suis toujours demandé où il trouvait le temps de jouer au golf et d’y exceller, le mystère reste entier une fois le livre fermé 😉

On notera un magnifique paragraphe sur l’assemblage, sans doute le domaine où Michel Rolland touche au génie, et où il décrit parfaitement ce qu’il fait et ce qu’il vit, tout en avouant que cela « échappe à toute logique et à toute recette ». Là est sans doute son génie, n’ayons pas peur des mots, ceux qui l’ont vu à l’œuvre me comprendront.

Mais je l’avoue, sa partie où il règle ses comptes avec Nossiter et d’autres, m’a moins plu. Je n’y ai pas reconnu l’homme, qui au final, a gagné, grâce à ce film partial et trépidant, la chance de compter ses vrais amis, ce qui n’est pas donné à tout le monde dans l’existence… J’ai beaucoup critiqué, à l’époque, les aspects honteux du film de Nossiter, en particulier le traitement de Michel Rolland qui ne méritait pas cette injustice (il n’était pas le seul, d’ailleurs) et j’avais œuvré largement à une dégustation fort intéressante qui démontrait que comme disait Einstein, « il est plus facile de briser un atome qu’un préjugé ». Il n’en reste pas moins que, ne pas lui reconnaitre que même si la réponse était inique, la question était excellente (l’uniformisation du vin, le danger de la chimie, la négation des personnalités et des terroirs) montre qu’il est parfois difficile de sortir de son personnage pour en voir les aspects discutables ou les conséquences négatives. Ah, on oubliera aussi le passage où il étrille le couple Agostini, ce qui n’est pas à son honneur, toute la comédie et la vanité humaine ayant été présentes dans cette affaire, chez tous les intervenants, y compris ceux à qui, on le voit en demi-teinte dans le livre, H. Agostini avait tenté, et c’est bien là sa faute originelle, de ravir l’influence historique sur l’agenda de Bob, la seconde ayant été de révéler certains aspects de ce même système qui auraient dû, sans doute, rester « off »…

Certes, ce n’est pas le travail de Michel Rolland ni ses idées qui sont la cause de l’uniformisation du vin que nous vivons indiscutablement aujourd’hui (j’y reviendrai sans doute un jour), il n’en reste pas moins évident que c’est lui qui a allumé le premiers feux, avec Robert Parker, engageant toute une génération à abandonner une partie de ses responsabilités et de sa créativité, tant dans la production que dans le commerce, donc de la confrontation avec le public, le vrai, le seul.

Ce n’est sans aucun doute pas ce qu’ils souhaitaient, ni ce qu’ils prévoyaient, il n’en reste pas moins qu’ils n’ont rien fait, ni l’un, ni l’autre, pour limiter les dégâts collatéraux d’une action pour autant positive à 90 %. Souvent imité par certains qui ne l’avait pas compris, nul ne retirera à Michel Rolland le fait qu’il ait été un des premiers œnologues à arpenter la vigne et, aujourd’hui encore, la jeune génération devrait retenir de ce livre « qu’un bon œnologue se doit d’avoir le mollet saillant… ». Et chaque vigneron qui se gargarise aujourd’hui de passer goûter les raisins avant la vendange, devrait mettre lui allumer un petit cierge de remerciement, de temps en temps…

Pour autant, s’il n’est pas coupable, il serait vain de nier sa responsabilité sur toute une génération qui, pour plaire à Parker, en a parfois oublié de cultiver SON terroir, SON goût, SA vie. Certes, nous sommes tous des sommes d’influences. Mais il nous faut les digérer et suivre son propre chemin de vigneron, et ce qui a fait la gloire de Bordeaux pourrait bien un jour faire sa perte : c’est au vigneron de décider, pas au consultant. Mais si le vigneron dit au consultant « je veux un Wine Advocate 100″, même si je n’aime pas le vin que je produis », qui est au final, responsable ? Je n’ai pas trouvé, je l’avoue, de réponse à cette question, ni à celle de « que serait devenu le vin français si Michel Rolland avait eu la même ambition, le même talent et… la phobie de l’avion 😉 » ? Il aura en effet beaucoup œuvré pour que son talent soit distribué à qui en avait les moyens et pas toujours à qui le méritait, ce qui pourrait aussi être discuté, n’en doutons pas. Son talent à n’accepter souvent que des clients riches a été, aussi, en partie sans aucun doute, la raison de son succès, tant il faut de l’argent pour faire de grands vins, en assumer les risques, les mener au terme de leur développement… Il n’en reste pas moins que nombre des meilleurs Bordeaux jamais produits, sont fait depuis dix ans, par de vrais vignerons qui ont pris tout ce qu’ils avaient à prendre de Michel ou de ses apôtres et ont suivi leur propre chemin et celui de leurs terroirs.

La vie de Michel Rolland mériterait donc, à mon humble avis, autre chose que ce livre, car, si c’est un bon début et qu’il faut le lire, il est malheureusement pétri de citations et d’influences sans aucun doute venues de la plume aidante citée en couverture, Isabelle Brunisset, qui, à larder ainsi le texte de citations parfois pédantes, même si elles sont employées à propos, masquent à mon sens un peu la véritable personnalité de l’auteur, en particulier sa simplicité et son côté « terrien », sur lequel ce vernis universitaire n’aura, je l’espère, pas de prise. Nous avons tous notre part d’ombre, nos contradictions et, ce livre refermé, je me suis pris à rêver, sincèrement, d’une biographie d’une qualité de celle de Steve Jobs qui, ne cachant rien du personnage, de ses défauts et contradictions, lui donne une vraie grandeur. Le sujet est vaste, foisonnant, pourrait éclairer une période charnière de la viticulture.

J’espère que Michel ne m’en voudra pas de lui souhaiter un biographe à la hauteur de son talent et un peu plus impartial. Je n’ai pas oublié, comment, en 1998, lors de ma première vendange, je l’ai dérangé deux ou trois fois au téléphone, affolé par mon inexpérience, et où de sa voix douce et de son rire chaleureux, il m’a rassuré sur deux ou trois points techniques et m’a assuré que si le raisin était mûr, tout se passerait bien. Ce qui finalement boucle la bouche, car tout est dit. Une parole fait parfois des miracles ;-). Comme tous les vignerons de ma génération, je lui dois beaucoup et j’en suis conscient. Sans lui, sans les vins qu’il a produits, aurais-je la même sensibilité au vin ? J’en doute.

A lire, donc.

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