Balthus voulait du Buzz, il en a…


Je ne saurai trop vous conseiller que de lire le billet de justification de François Mauss sur l’excellent Blog du Grand Jury, qui, à mon sens, aura fait date dans l’histoire contemporaine du vin.

C’est ICI et LA. Ce sont surtout les commentaires qui sont intéressants. Un jour, dans longtemps, un chercheur en sciences sociales y puisera, j’en suis sûr, des enseignements précieux sur l’état de notre micro-monde du vin au début du millénaire. Comment deux amis de trente ans peuvent-ils encore se disputer sur un sujet aussi bête que le vin ? ;-)

Comme je le craignais, mon billet d’hier lui donne de l’urticaire car il est allergique, en ce moment, à toute critique. Cela m’étonne quand même un peu. Il voulait du Buzz, Balthus aussi et c’est pour cela qu’ils ont investi de l’argent dans cette dégustation. François la met en scène fort habilement sur son blog, lui fait une large audience, afin de provoquer le débat, la discussion, puisque les commentaires sont ouverts. Mais là patatras ! Voilà que l’on est pas d’accord avec lui et que, sans discussion possible, me voilà classé avec tous ceux qui regardent cette dégustation avec un brin d’esprit critique et d’humour, dans la catégorie :

« des jaloux qui n’arrivent même pas à se cacher par des mensonges puant l’hypocrisie, outre les lectures plus que partielles de ce qu’on a écrit, commenté, développé, nuancé, on tombe sempiternellement sur des spounz qui n’admettent pas qu’on ne pense pas comme eux. C’est affligeant de bêtises, de conneries, de médiocrités. On répond à côté pour lister des inepties dont on ne peut cacher l’insondable nullité»

Ouf ! Heureusement qu’il ne m’est pas venu à l’idée de créer un Grand Jury Vingraunais, qui noterait les violonistes, les pianos à queue, mettrait 98 à Bach mais seulement 95,75 à Mozart… Que n’en dirait-il pas ? Enfin, s’il lui restait des adjectifs peu amènes…

Que voilà pourtant un débat constructif, dès qu’on le libère des questions d’ego. Or donc, on devrait, pour obéir aux règles du GRAND Jury Européen, absorber n’importe quelle notation en perdant tout sens critique.

Et bien non.

Une chose est sûre, François Mauss serait bien malheureux, s’il faisait du vin, de devoir accepter en permanence la critique sur son travail, celle des guides, celle des journaux, celle du commerce, celle dorénavant des consommateurs sur les forum. Lui peut noter, peu « classer » donc critiquer, en permanence, les vignerons. Mais les vignerons ni personne n’ont pas le droit d’émettre la moindre critique sur son travail. Drôle de point de vue, à l’heure du Web…

Les commentaires, en ce sens, sont édifiants. L’excellent Emmanuel Delmas fait remarquer que l’on peut ne pas être tous les jours attiré par le style de Balthus (comme on peut ne pas l’être d’ailleurs tous les jours par le Clos des Fées) et préférer des vins plus « tendus » (comme les Sorcières, au hasard, hein;-). La « tension » est affaire de pH, comme tout le monde le sait, tous les terroirs ne pouvant faire mûr et concentré tout en gardant des pH autour de 3,7 au lieu de sortir de leur milieu acide naturel pour afficher des pH de parfois plus de 4 leur donnant lourdeur, pâteux, sensibilité aux brett, difficulté à vieillir avec grace. Voilà un problème que l’osmoseur ou une autre machine n’a pas encore résolu. Bonne pioche, Emmanuel. C’est un peu comme la boxe, une partie du combat se joue quand on choisit l’adversaire… En cela, le mode de culture est essentiel et l’abandon des engrais chimiques y est pour l’essentiel, expliquant pourquoi, sans aucune magie, certaines « bio-d » qui redécouvrent le fumier de cheval font des vins plus tendus. Pas besoin d’invoquer les puissances cosmiques, il faut en revenir aux fondamentaux français : le coq, le fumier ;-)

Très en forme, décidément, Emmanuel fait aussi remarquer que Balthus aurait pu payer le Grand Jury Européen pour se confronter… aux autres Bordeaux Supérieurs de qualité, tous moins prestigieux que lui (aie !) et bien moins chers aussi. Que cette idée semble saine. Oui mais… non ;-)

Un autre internaute fait remarquer que le GJE pourrait aussi confronter une dizaine de vins très chers avec une dizaine d’outsiders bordelais qui le sont moins, non dans un but de classement ou de notation, mais pour faire émerger le point clé qui manque à Bordeaux : oui, il y a de grands terroirs hors des zones sous le feu des producteurs; oui, il y a de jeunes et moins jeunes vignerons qui font des efforts exceptionnels; oui, on peut encore trouver des vins délicieux à des prix raisonnables dans cette formidable région.

A ce sujet, l’amateur de Bordeaux mettra sur sa liste au Père Noël l’excellent guide de Jean-Marc Quarin, qui vient de sortir, où l’on trouve sous la rubrique « outsider » une floppée d’adresses remarquables, donc certaines me sont totalement inconnues d’ailleurs et donnent envie de sortir son chéquier. Jean-Marc, avec qui je préfèrerais boire des coups un jour plutôt qu’il note mon vin et me donne des conseils (je fais ce que je peux, Jean-Marc ;-), a mis beaucoup de retenue dans ses commentaires, comme il se doit à Bordeaux, mais quand on lit entre ses lignes, on se dit qu’il y a de sacrés vins à découvrir encore la-bas. C’est clair, il se retient parfois, dans la critique de certaines étiquettes prestigieuses et l’éloge d’autres qui le sont moins. Mais en lisant avec attention, il faut reconnaitre que, déjà, il se mouille drôlement. Bravo.

Il faut d’urgence que ces bons vignerons se cotisent et payent le GJE pour organiser une dégustation à l’aveugle. Tiens, monsieur Vatelot se grandirait et ferait là, du coup, le buzz, en financant une telle dégustation ! Le but ne serait pas de dire « nous faisons mieux que Cheval-Blanc » (faut se dépêcher, parce que sur les millésimes récents et futurs ça va être UN PEU plus difficile..) où « Latour, c’est pas meilleur et ça coûte un bras », mais bien : nous aussi nous pouvons faire bien et bon, nous avons des terroirs, on bosse dur et on voudrait rentrer dans la cour des grands. Tiens, s’il m’invite et s’il y a de la tourte de gibier, j’irai (peut-être…), dans un grand élan de réconciliation ;-)

Bon, moi, de cette dégustation, j’aurai surtout vu (mais je ne regarde jamais dans la bonne direction, hein, jamais le doigt ;-), que des dégustateurs émérites ont mis au même niveau ou presque ce jour là des millésimes aussi différents que 2005, 2007 et 2003. Finalement, ces dégustations statistiques où toute perception du goût individuel ne fait que gommer tout ce que j’aime dans le vin : le droit de vouloir se damner pour une bouteille, le droit de son voisin de table et ami de ne même pas la remarquer.

C’est en cela que décidément le vin se rapproche sans doute le plus de l’art.

En parlant d’artiste, c’est bien Michel Bettane qui a le mot de la fin en faisant remarquer que la valeur du vin et le prix du vin sont décidément deux choses que le critique se doit de bien séparer, devant «un amoncellement de milliardaires pour qui 2000 euros sont comme 2 euros pour nous».

La chose est possible mais difficile, le métier n’est pas aussi drôle que certains l’imaginent. Bon, c’est pas le bagne non plus, hein ;-)

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