Une aventure sans lendemain


L’été a toujours été propice aux rencontres d’un soir.

En vieillissant, on se les remémore en les enjolivant, forcément.

Une fin de colonie de vacances où, sachant que l’on ne se reverra sans doute jamais, une idylle d’enfant se concrétise soudain…  Une fin de cycle d’étude où, tout d’un coup, le dernier jour permet les franchises les plus étonnantes et le rapprochement de corps si longtemps ennemis… Une rencontre, totalement improbable, d’une intensité folle, à la veille d’un départ que l’on sait définitif, pour un autre pays par exemple, départ qui justement, avive les sens avec une intensité impossible dans une situation « normale ».

Ces rencontres fortuites, ces séductions soudaines, ces aventures sans lendemain que l’ont sait forcément brèves, flamboyantes, uniques, qui déforment le temps et font qu’en quelques heures on a la sensation de vivre un an de passion, compressée, où chaque minute est importante, essentielle, de plus en plus intense au fur et à mesure que les secondes s’égrennent, que la séparation approche, je te souhaite d’en avoir connues, cher lecteur, où, si tu es plus jeune, d’en connaitre un jour, voire de les vivre au moment où j’écris ces lignes avec un brin de nostalgie ;-)

A ce stade du billet, je t’imagine étonné, cher lecteur, voire un peu émoustillé… Comment ? Va t’il nous raconter un amour de vacances, une improbable rencontre ? Et bien oui…

Brutale, imprévue, totalement inattendue, voilà que ma route a croisé, cette semaine, au restaurant, celle d’une bouteille… de Lafite

Il m’a fallu plusieurs jours, au final, pour mesurer le côté unique de la chose, et me rendre à l’évidence : mes chances pour renouveler un jour l’expérience d’une bouteile de Lafite au restaurant, payée par moi, bien sûr, en toute liberté de choix, sont à peu près les mêmes que celle d’être désormais touché par la foudre. Et encore, parce que je suis souvent dehors ;-)

Je l’avoue, un peu comme gagner à l’Euro-million, je pensais ce genre d’expérience du domaine du fantasme. Or, par chance, voilà que je me trouvais mardi dans une conjonction spacio-temporelle unique, qui m’ouvrit une opportunité.

Un palace, acheté par un milliardaire, refait à neuf il y a dix ans et ayant connu plusieurs sommeliers de grande qualité, ayant des moyens d’achats importants. Une cave magnifique, originale, où de grandes étiquettes prestigieuses cotoient des vins d’auteurs bourrés de personnalité (donc du Clos des Fées.. ;-). Un succés mitigé, des clients sans doute peu intéressés par le vin, une lassitude, des directeurs aléatoires, une envie de vider un peu la cave de ses merveilles, des prix donc jamais réévalués ou volontairement raisonnables pour encourager les iniatives et débloquer les portefeuilles.

Devant une offre d’un Château Lafite 97, Pauillac, 1er cru classé en 1855, à 300 euros, sur table, taxes et services compris (et encore parce que le franc Suisse est horriblement fort, sinon on s’en serait tiré à 250 euros ;-), peut-on resister, pendant les vacances et faire une infidélité aux vins Suisses qu’on aime tant ? Cétait cette fois ou jamais, parce qu’à 850 euros en primeur un 2010 à l’achat pour un restaurateur, ce genre de prix est révolu et le mythe désormais hors de porté du plus motivé des amateurs. Loin de moi l’idée de juger. Je constate, c’est tout. Certains diront, mauvais coucheurs, que 300 euros, c’est déjà une somme. Certes. Laissons les râler, et buvons ;-)

Un peu de pudeur, vous le comprendrez, doit, à partir de cet instant, tomber sur cette expérience si personnelle et si intime ;-)

La commande passée, on frémit, dans un silence pudique, au départ, de tant d’audace.

On se détend, d’une touche d’humour potache, en se bridant les yeux, en riant, du bout des doigts, pour se faire passer pour un Chinois, seuls êtres humains, désormais, assez courageux pour se lancer dans ce genre d’expérience, en se moquant des « tigres de papier » que nous sommes devenus ;-).

On s’amuse de la surprise du personnel de salle, que l’on prend à contrepied et qui n’a, à l’évidence, pas l’habitude, de voir des clients « normaux », boire ce genre de vins.

On se se gausse de notre absence totale de « sens des affaires », plus avisés que nous serions d’acheter la bouteille à ce prix et de la revendre le lendemain sur ebay, au triple…

L’un des convives, forcément connecté, regarde en cachette la note de Bob, histoire de s’informer. Miracle de l’internet mobile…

Et puis il faut bien tremper le nez dans le breuvage.

Et bien ma foi, c’est fort bon.

Pas de quoi, certes, changer la face du monde, dans ce millésime de demi-corps, ni de déclamer, comme le fit Richelieu, que le vin était « tel l’ambroisie des Dieux » ;-). Mais le nez est magnifique, sur le tabac cubain et le bois de santal, complexe, droit, pur, bien dans la lignée de la bouche, à maturité, à la finale racée digne d’un un cheval de course, même si l’on eu aimé un peu plus de longueur. Tout est à sa place, telle une famille bourgeoise sur la plage du Touquet, et ma fois, cela à quelque chose de rassurant, de paisible. Intérieurement, on se surprend, même, en ce lendemain de 14 juilet, à crier dans sa tête un « vive la France » silencieux mais sincère ;-). Et l’on prend du plaisir, tout simplement, tout en savourant son diner.

On a pris la peine, comme toute belle bouteille, de la mettre sur la table, savourant ainsi sa présence, comme il se doit, l’habitude de laisser les bouteilles sur les guéridons de service étant à, mon goût, à proscrire…

En réglant la note, on se dit, mélancolique, que c’est sans aucun doute la première et la dernière fois que l’on boira Lafite au restaurant, sans trop de nostalgie, cependant, car il y aura d’autres choses à boire, au moins aussi bonnes. Mais sans doute pas aussi prestigieuses. Car, il faut bien se l’avouer, on s’est laissé prendre au prestige de l’étiquette et il faut bien assumer sa perméabilité aux médias : quelque soit le recul que l’on croit avoir sur ce genre de bouteile, il faut être honnête et se rendre compte qu’à force de se faire bourrer le tête par les médias sur le succès du vin en Chine, il en reste quelque chose, que l’on a été perméable, que l’on assez fier, en fait, d’avoir bu un peu de mythe, et que l’on comprend pourquoi des consommateurs débutants peuvent avoir du plaisir à sacraliser ainsi des marques au point de les déifier : oui, je l’avoue, s’il restait en moi une dernier gramme de snobisme, il s’est exprimé ce soir là, et j’y ai pris plaisir, laissant parler mon coté midinette, non sans délectation…

Ah, le prestige de l’étiquette !

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