il est temps de rentrer


Voilà, les amis, mon escapade bordelaise se termine.

Bien content de ne plus devoir, comme je l’ai fait à une époque, pondre des notes à la chaîne sur une multitude infinie de vins. Je laisse sans regrets ce soin à d’autres. A mon époque, il y a vingt ans, c’était simple : 200 crus classés et assimilés, une trentaine de blancs, 25 Sauternes, en quatre jours, dans de parfaites conditions de dégustation, le tout pour sans doute moins de 100 journalistes du monde entier. Y’a pas à dire, c’était le bon temps. Aujourd’hui, un journaliste qui se respecte devra goûter facilement le triple, voir plus, soit sans doute, pour certains stakhnovistes, 1 000 vins… La plupart d’entre eux ne sont, au fait, pas même vendus en primeur, voir n’ont pas accès à « la Place », ce qui me semble assez étrange… Qu’importe, tout le monde cherche à exister « in vitro », montrant des échographies plus que des bébés, les petits garçons et petites filles qu’il seront, à la mise, n’ont plus vraiment d’intérêt, les adultes qu’ils seront un jour, dans dix ans, dans vingt ans, n’intéresseront plus personne. Il faut aller vite, très vite, plus vite. Pourquoi ? On se pose pas la question, on se contente d’accélérer…

Un observateur « sociologique », voire ethnologique aurait ici toute sa place, tant l’observation des déplacements de rites ou d’influences sont passionnants. Le simple fait d’autoriser désormais les crus classés à faire bouger leur structures foncières va faire l’effet d’une bombe à neutron : sans bruit, mais terriblement efficace… Pour l’instant, c’est silencieux. Nous en reparlerons. Ce que je retiendrai de cette année, c’est la généralisatin des « écuries ». On se regroupe, plus que jamais, pour tenter d’avoir de la visibilité, autour d’une « association », à 5 ou à 150, autour d’un œnologue « star », autour d’une philosophie (les bio, les bio-d, les rebelles, les…) mais plus vraiment autour d’une appellation, celle-ci ne voulant plus rien dire, bien que poliment, personne n’évoque le problème. Tout simplement parce qu’il n’y a plus unité de moyens ni d’objectif dans les appellations, ce qui fait que le système est en train de littéralement imploser de l’intérieur, dans l’indifférence générale. Nous en reparlerons aussi.

Des groupes, donc, pourquoi pas. Mais le résultat n’est pas toujours heureux, les vignerons, pratiquement (ceux qui n’ont pas assez de « pouvoir » pour imposer la dégustation à domicile), se retrouvant serrés comme des sardines, parfois épaule contre épaule, paralysés et pollués dans leur discours par la présence de « l’autre ». Collègue, certes, mais aussi concurrent dans une lutte féroce pour la simple survie ou pour la satisfaction de l’Ego… La dégustation en primeur « en batterie » ? Certains ne me pardonneront pas, mais, pourtant, nous en sommes là, à quelques endroits. Du coup, impossible ou presque de communiquer avec les vignerons. Mais est ce seulement le vigneron ou la vigneronne qui est là ? Personne n’est badgé. On tombe sur un maitre de chai, l’ouvrier qui présente le mieux, une hôtesse engagée pour l’occasion, on ne sait pas, en fait, car les vins sont parfois présentés dans deux ou trois « écuries ». Le silence s’installe, forcément. Et il est profond. Pourvu qu’un consultant, ou deux, ou trois aient tout décidé pour la propriété, on ne peut s’empêcher de penser à un film de zombi ou un clip de Lady Gaga, où, mécaniquement, on goûte… Mais « ressent-on » ? Communique t’on ? Partage t’on ? Au milieu, des dizaines de « personnes » vont et viennent, verre à la main, crachant et vidant dans des crachoirs collectifs. Leur « concentration » absolu leur donne l’air absent. Leur lèvres et leur dents noircies par les tannins finissent le tableau. Qui sont-ils ? Mystère. Mais si chacun d’entre eux n’achetait qu’une caisse de cru classé, il n’y en aurait plus pour les Chinois ;-)

Pendant ce temps, les stars reçoivent chez eux, obligeant à goûter sur leur terrain, ce qui est fin. Et plus calme.

Au final, je rentre sans avis sérieux sur la question du millésime.  Bien des raisons sont désormais récoltés trop mûrs, voir blett, puis littéralement « passés à tabac », matraqués, pour en extraire tout, y compris des trucs qui auraient sans doute mieux fait de rester dans les peaux. On est donc dans le « plus ». On préférerait parfois être dans le « mieux ». Certes, c’est impressionnant, noir, boisé, les tannins vous « culottent » littéralement la bouche, paralysant souvent le palais pendant plusieurs dizaines de secondes. Que deviendront ces vins ? De tels tannins, aussi brutaux, peuvent-ils vraiment être « élevés » ? Nous verrons bien.  Je n’ai bien sûr pas tout gouté, les bons vins plus raisonnablement extraits existent. Ce sont ceux là qu’il faudra à mon sens rechercher, les 90-92. Pour les 95 et plus, rendez vous dans vingt ans, parce qu’avant, ce sera difficile.

Pour les grands vins, il faudra donc, comme toujours, derrière les vins, regarder les hommes, et derrière eux encore, les terroirs. On se souviendra, si vous le voulez bien (pardon pour ceux qui ne supportent pas le professeur Bizeul ;-), de cinq choses, en dégustant :

– on boit pour avoir du plaisir (pas pour briller en société ou avoir un statut social, c’est valable pour le producteur comme pour le buveur…). Illustration Candale, Godeau, Rousselle, de Carles, Fontbel, Saintayme, Bellevue de Tayac, la Croix Lartigue, tant d’autres que je n’ai pas gouté, vous m’en voyez désolé, et que j’aurai pu aimer et citer…

– L’ultra concentration est un art décidément difficile. Le + de la Fleur de Bouard » m’a semblé cette année en être l’expression la plus aboutie de la chose, au milieu d’une assez importante quantité de tentatives ratées. Il faudra attendre, longtemps, mais au bout (quand ?) le grand vin sera là, aussi, comme me l’a prouvé un Angélus 2000 bu l’année dernière.

– les tannins fins, l’équilibre, la mesure, le grand vin est toujours derrière la concentration, aussi importante soit elle. Aller au bord, à la limite, s’arrêter juste avant. Valandraud me semble être cette année une des plus parfaites illustrations de la chose avec Troplong-Mondot, Beauséjour Dufau et bien sûr Vieux Château Certan, sans doute, qui va rafler tous les suffrages.

– un grand vin donne soif, quelque soit son degré de concentration. Il fait saliver. Cette salive appelle la gorgée suivante. Faire attention à sa salive, permet de voir que l’Eglise-Clinet ne sera pas le plus noir et le plus massif des Pomerol, mais au final, le plus délicieux. Et que je peux espérer le voir à son apogée, ce qui ne sera peut-être le cas de bien des autres. Même éloges pour Tertre Daugay, toujours à mon goût.

– un grand vin, même jeune, fait parfois, miracle, la « queue de paon ». A peine dans la bouche, sans que l’on fasse un mouvement de langue, il se produit comme une « expansion », la sensation stupéfiante que « le paon ouvre sa queue dans votre bouche ». Je ne l’ai vécu cette année qu’avec Ausone. Curieux de voir si cela restera. Confiant, aussi.

Bon, la plupart de ces producteurs sont des gens que j’aime et que j’admire, alors, je ne garanti pas la parfaite impartialité de ces avis ;-), l’affectif bouleversant le jugement, dans le vin sans doute plus qu’ailleurs.

Le soleil se lève sur la côte sud de Saint-Emilion. Réveillé par le chant des oiseaux, incroyablement intense à Saint-Emilion, je retourne prendre un dernier bol de magie dans le parc d’Ausone, baigné d’une lumière et d’un calme irréel et mystérieux. Je pense à la scène d’ouverture de « petit déjeuner chez Tiffany’s », voyant sortir d’une voiture une jeune femme d’une grâce et d’une élégance irréelle. Je sourie. Elle me sourie. C’est normal, c’est V. ;-). Un merveilleux Clap de fin.

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